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Regards critiques, le podcast
Regards critiques S01-E03 : L'Homme d'Aran
Filmer pour voir, filmer pour comprendre. Dans L’Homme d’Aran, Robert Flaherty suppose, hypothèse, que le monde resterait fragmentation et chaos, menace et mort, s’il n’y avait le cinéma. Qu’en est-il de ce qu’on appelle « documentaire »? Que nous apprend la pratique de celui qui passe pour avoir fondé le genre? Perdu sur son île qui est en même temps salle de montage et labo, Flaherty se demande jour après jour si, pour lui, la seule « réalité » n’est pas la réalité filmée, si, autrement dit, la robe sans couture de la réalité ne devient pas au cinéma collage des lambeaux innombrables du manteau d’Arlequin? Montage, illusion, croyance: le spectateur est aveuglé par ce qu’il voit, alors que le cinéaste ne croit que ce qu’il filme. Cela donne un film enragé, où s’oppose à la violence du vent, des tempêtes, des requins, des pierres mêmes, la non moins grande violence des images. Encore une fois, l’impossibilité technique (et pratique, en l’occurrence) de prendre du son direct synchrone ouvre à une démultiplication des puissances du montage.
Cet épisode a été préparé par Catherine Blangonnet
Introduction : Nathalie Nosny
Avec : Jean-Louis Comolli
Réalisation : Michel Bourzeix et Catherine Blangonnet
Musique : Variations Goldberg, BWV. 988 - Variatio 18. Canone alla Sexta. a 1 Clav. (Musopen)
Ce podcast a été enregistré dans les espaces du Centre Pompidou.
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1. Regards critiques S01-E01 : Films Lumière 1895-1905
01:19:47||Saison 1, Ep. 1Comment recevoir aujourd’hui l’émerveillement et l’effroi tout ensemble des spectateurs de la première séance du cinématographe Lumière ? Quelle était cette peur, cette surprise ? Le cinéma s’est fondé sous le double signe du spectaculaire et de l’infra-visible : la locomotive surgissant sur l’écran et la tremblée des feuilles aux arbres du jardin. À partir de la projection de quelques-uns des films Lumière, cette séance inaugurale entend prendre acte des ambiguïtés qui marquent la naissance du cinématographe : entre « documentaire » et « fiction », entre science et magie, entre illusion et doute. D’emblée, les principaux paramètres de ce qui s’appellera plus tard « cinéma » sont posés dans leur ambivalence: le cadre est un cache, la profondeur de l’image une illusion, le mouvement lui-même un artefact et la caméra une bien drôle de machine… Nous tenterons de mesurer à la fois la distance qui sépare le spectateur d’aujourd’hui de celui des premiers films, et ce qu’ils ont – encore – en commun. Cet épisode a été préparé par Catherine Blangonnet Introduction : Nathalie Nosny Avec : Jean-Louis Comolli Réalisation : Michel Bourzeix et Catherine Blangonnet Musique : Variations Goldberg, BWV. 988 - Variatio 18. Canone alla Sexta. a 1 Clav. (Musopen) Ce podcast a été enregistré dans les espaces du Centre Pompidou.2. Regards critiques S01-E02 : L'Homme à la caméra
42:50||Saison 1, Ep. 2Hymne à la toute-puissance du cinéma, "L’Homme à la caméra" (Dziga Vertov, 1929) reste l’un des films les plus étonnants de l’histoire. Moins le manifeste d’un nouveau « cinéma-vérité », comme le voulait son auteur, que le déploiement sans frein des vertiges du montage. Ici, la théorie du cinéma s’inscrit à même la pellicule, dans un ballet paroxystique de jeux de miroirs et de truquages ; et dans la liaison fatale entre l’analyse du mouvement et sa synthèse se jouent la vie et la mort des images. Vertov ne célèbre pas seulement l’avènement d’une nouvelle espèce humaine: le cameraman; il se soucie du regard, du désir de voir, de l’excès même du visible, de la saturation du monde par les images, bref, il invente le cinéspectateur. Mais 1929 est aussi l’année qui marque la naissance du cinéma sonore, dans les studios du moins, pour les stars, et par conséquent ni dans les rues, ni pour les hommes et femmes ordinaires du cinéma documentaire : Vertov, qui rêve sans doute d’un cinéma sonore encore hors de portée, tente de conférer aux images le pouvoir d’évoquer les sons. Nous aurons à nous interroger sur le décalage qui se manifeste alors entre bande image et bande son, qui va durer jusqu’au début des années 60.Cet épisode a été préparé par Catherine Blangonnet Introduction : Nathalie Nosny Avec : Jean-Louis Comolli Réalisation : Michel Bourzeix et Catherine Blangonnet Musique : Variations Goldberg, BWV. 988 - Variatio 18. Canone alla Sexta. a 1 Clav. (Musopen) Ce podcast a été enregistré dans les espaces du Centre Pompidou.4. Regards critiques S01-E04 : Moi un noir
48:29||Saison 1, Ep. 4Nous sommes à la veille de l’entrée en scène du son synchrone. La caméra 16mm Éclair-Coutant est sur le point de naître. Mais quand il tourne Moi, un Noir, Jean Rouch n’en dispose pas encore. Inspiré et guidé par ses amis nigériens d’Abidjan, Rouch tourne en 16mm Kodachrome et en son témoin ce drôle de documentaire, où il y a un scénario, des dialogues, des acteurs, une intrigue, des scènes de rêve, tout cela nourri et documenté par l’errance réelle de ces exilés d’une colonie dans une autre. Éclate ici la dimension fictionnelle du grand cinéma documentaire, qui raconte des histoires aussi décousues que la vie, fait apparaître des personnages aussi fantomatiques, opaques ou transparents que ceux de la vraie vie, ouvre autant de question, y répond aussi peu. Cette fois encore, l’absence de son direct allège le montage (…). Mais ici la bande son renverse la bande image. On sait que Rouch a montré son film – une fois monté – à ses acteurs, les invitant à se « doubler », à se commenter, se raconter pendant la projection, dans la salle devenue auditorium. Le jeu est saisissant. Une liberté d’après coup soulève le film. (…) La liberté regagnée au son par les personnages du film est d’autant plus belle, plus troublante, qu’elle est conquête du colonisé sur la langue du maître (le français). On comprend ainsi comment les contraintes ou les enjeux dits « techniques » ne sont pas innocents.Cet épisode a été préparé par Catherine Blangonnet Introduction : Nathalie Nosny Avec : Jean-Louis Comolli Réalisation : Michel Bourzeix et Catherine Blangonnet Musique : Variations Goldberg, BWV. 988 - Variatio 18. Canone alla Sexta. a 1 Clav. (Musopen) Ce podcast a été enregistré dans les espaces du Centre Pompidou.5. Regards critiques S01-E05 : Terre sans pain
01:06:15||Saison 1, Ep. 5Terre sans pain est un étrange film, qui reste soixante-dix ans plus tard aussi scandaleux qu’en son temps. Encore une fois, ce « documentaire » est fabriqué comme une fiction. Répétitions, prises multiples, mise en scène, découpage… il s’agit pour Buñuel de contrôler la réalité des Hurdes, de ne pas se laisser griser ou gagner par la charge de réel, et donc de charme ou de mystère, que rencontre inévitablement tout tournage documentaire. Pourquoi? Tout simplement pour pouvoir noircir le tableau à souhait, écarter du film tout ce qui risquerait d’atténuer l’impression recherchée, celle d’une misère, d’un malheur sans fin ni remède. Car Buñuel ne veut pas que le sort épouvantable des Hurdanos suscite sentiments de compassion ou de pitié. S’exerce là un refus majeur de tout ce qui pourrait ressembler à une charité humaniste de souche chrétienne. Plutôt que la pitié, la révolte. Nous aurions voulu porter assistance à ces pauvres hères sur qui s’acharne un sort hostile? Bien, allons-y voir: le film nous guide, nous associe à sa visite, mais c’est pour nous faire arriver trop tard. Le mal est déjà fait. Irrémédiable. C’est bien au spectateur que s’en prend le film, pour le saturer de tant d’images d’un malheur sans appel qu’il lui sera interdit de se considérer plus longtemps comme étant du bon côté de l’écran. Ce n’est pas seulement la situation lamentable des Hurdes qui nous insupporte, c’est cette insistance obsessionnelle d’ajouter de la mort au malheur, de fermer le film comme une tombe, qui finissent par excéder toute « bonne place » de spectateur. Le cinéma ici n’est plus fait pour améliorer le monde mais pour le refuser tel qu'il est. Un film subversif parce qu'il s'en prend au spectacle de la misère et au confort du spectateur.Cet épisode a été préparé par Catherine Blangonnet Introduction : Nathalie Nosny Avec : Jean-Louis Comolli Réalisation : Michel Bourzeix et Catherine Blangonnet Musique : Variations Goldberg, BWV. 988 - Variatio 18. Canone alla Sexta. a 1 Clav. (Musopen) Ce podcast a été enregistré dans les espaces du Centre Pompidou.6. Regards critiques S01-E06 : Let There Be Light
01:16:30||Saison 1, Ep. 6Le cinéma et la guerre (la 2ème). Trois films entre 1942 et 1946, dont deux à travers quelques citations: Desert Victory (Roy Boulting, 1942-43), Memory of the Camps (Sidney Bernstein, 1945-85), Let There Be Light (John Huston, 1946). L’hypothèse qui court ici est que la place du spectateur et les modalités de son désir de croire dans le cinéma ont changé après 1945 et la mise en circulation des images tournées au moment de la libération des camps de la mort nazis par les Alliés. Quand les Britanniques tournent en 1942 la bataille d’El Alamein pour en faire, en cas de victoire, un film de propagande (Desert Victory), le cinéma est au faîte de sa puissance. On ne craint pas de tourner en studio près de Londres, avec des figurants, les scènes de l’offensive nocturne qui manquent dans les plans documentaires de la vraie bataille. Le faux et le vrai coexistent sans l’excuse du docu-fiction. Le spectateur croit au subterfuge et n’y voit aucun truquage. Trois ans plus tard, quand les Britanniques libèrent le camp de Bergen Belsen (Basse Saxe), tout change. Les images qui arrivent à Londres font peur. Va-t-on croire à une violence dans l’horreur, jamais représentée? Pour la première fois, se pose la question de croire en l’authenticité d’une série d’images documentaires. On fait donc appel à Alfred Hitchcock qui propose une rhétorique de l’attestation de la nature documentaire de ces images: trop fortes pour êtres vraies? Croire ne va plus de soi: il faut des renforts, des garanties. C’est un tournant. L’année suivante, John Huston se propose de restaurer quelque chose de la puissance perdue du cinéma en filmant la guérison des soldats traumatisés par les batailles qu’ils ont vécues. Le magnifique Let There Be Light, comme son titre le propose, confronte le cinéma au miracle du retour à la vie. Il s’agit de croire à nouveau. La magie ne serait-elle pas morte ?Cet épisode a été préparé par Catherine Blangonnet Introduction : Nathalie Nosny Avec : Jean-Louis Comolli Réalisation : Michel Bourzeix et Catherine Blangonnet Musique : Variations Goldberg, BWV. 988 - Variatio 18. Canone alla Sexta. a 1 Clav. (Musopen) Ce podcast a été enregistré dans les espaces du Centre Pompidou.7. Regards critiques S01-E07 : Classe de lutte
01:03:09||Saison 1, Ep. 7À dix ans d’intervalle, ces deux films dits « militants » posent la question cruciale de l’émergence du sujet dans la lutte sociale. Tel serait aussi l’héritage de 68: qu’il ne s’agit plus de lutter au nom des autres, classe, groupe, syndicat, mais de reprendre le fil de la lutte sociale en son nom propre, depuis sa position subjective, en sachant ce qu’il en coûte et ce que l’on y gagne. Quoi? Une parole vraie, hors de tous les langages convenus. Un courage qui n’est plus breveté. Une sortie des routines qui est une autre manière de leur redonner la vie qui s’était retirée d’elles à force d’obéissance. Suzanne n’obéit plus qu’à ses convictions, plus puissantes que les ordres qui l’encadrent. Renée, Christine sont aussi en rupture de règles. L’amour, la vie amoureuse, la vie familiale sont des lieux de la mobilisation sociale. Comment le cinéma dit « documentaire» s’y prend-il pour déjouer les cadres? Pour faire émerger la parole vivante d’un sujet (trois femmes, en l’occurrence, et ce n’est pas pour rien)? Pour entraîner les militantes vers une affirmation d’elles-mêmes qui apparaît aujourd’hui comme le geste révolutionnaire majeur? Eh bien, il fait en sorte que les personnes filmées agissent vraiment dans les films, sans réciter aucune leçon, sans répéter aucun geste de ceux qui sont admis, sans se référer à une autorité qui les contraindrait, et pas non plus celle du cinéma qui cadre et qui attend. Un jour, peut-être, il sera devenu évident que le surgissement d’une parole libre est un événement politique majeur. Que la forme de la parole est facteur de sens. Qu’il y a des paroles toujours déjà calibrées et d’autre qui ne le seront jamais.Cet épisode a été préparé par Catherine Blangonnet Introduction : Nathalie Nosny Avec : Jean-Louis Comolli Réalisation : Michel Bourzeix et Catherine Blangonnet Musique : Variations Goldberg, BWV. 988 - Variatio 18. Canone alla Sexta. a 1 Clav. (Musopen) Ce podcast a été enregistré dans les espaces du Centre Pompidou.8. Regards critiques S01-E08 : Histoire du Japon racontée par une hôtesse de bar
43:45||Saison 1, Ep. 8Quelle vérité scandaleuse, quelle force subversive, quel trouble ne naissent-ils pas de la parole filmée à condition qu’elle soit, comme ici, écoutée avec patience et constance, qu’elle soit prise et reprise avec obstination. Mais aussi: comment l’histoire avec un grand H passe-t-elle par l’intime des corps ? Comment la violence politique, l’exhibition des amours et le trafic des familles peuvent-ils se montrer à ce point entrelacés ? L’Histoire du Japon racontée par une hôtesse de bar réussit cette performance rare dans l’histoire du cinéma de conjuguer la vie triomphante d’une femme dans tous ses états de corps et d’esprit, et l’histoire d’un pays vaincu, dépendant, soumis. Filmée, cette femme quelconque devient personnage extraordinaire; sa parole se déploie sans gêne sur une scène débarrassée de tout impératif moral; ce qu’elle raconte, sans hors champ et sans hypocrisie, prend le ton d’un cynisme tranquille et souriant; les intérêts égoïstes du sujet ne sont plus masqués, on ne triche plus, et le cinéma, bon gré mal gré, enregistre cet affaiblissement de tout surmoi comme la chose la plus naturelle du monde. Nous sommes aux antipodes des programmes de télévision actuels qui étalent comme un sale secret le détail d’une « vie privée », avec le projet de nous faire jouir du dépeçage spectaculaire des vices cachés. Rien de tel ici. Le cinéma d’Imamura ne nous laisse aucune chance de voyeurisme; le corps et la parole de l’hôtesse de bar transpercent les plus improbables turpitudes; tout se tient et se déroule dans le monde de l’élémentaire, la pulsion, la répétition, la structure. La dimension documentaire est ici la garantie que le corps filmé n’est en effet pas celui d’une autre.Cet épisode a été préparé par Catherine Blangonnet Introduction : Nathalie Nosny Avec : Jean-Louis Comolli Réalisation : Michel Bourzeix et Catherine Blangonnet Musique : Variations Goldberg, BWV. 988 - Variatio 18. Canone alla Sexta. a 1 Clav. (Musopen) Ce podcast a été enregistré dans les espaces du Centre Pompidou.9. Regards critiques S01-E09 : Disneyland, mon vieux pays natal & Scènes de chasse au sanglier
01:00:47||Saison 1, Ep. 9Deux films récents au programme. J’ai rapproché ces deux films car ils creusent l’un et l’autre le rapport problématique entre prise cinématographique et prise de réel. Comment rencontrer pour le filmer ce réel qui se dérobe ? Que peut-on faire de ce qui disparaît quand on le filme? Avec celui de la mort, filmée, racontée, le thème de la disparition est commun aux deux films. Au terme ou presque de cette traversée de l’histoire du cinéma sous influence…, nous savons que le cinéma dit « documentaire » est capable des plus grandes opérations de fiction. Que faire de la mort dans un film qui ne soit pas la réduire à l’inconsistance rassurante de la virtualité, à l’amusement d’un jeu ? Mais aussi: comment articuler dans un film le dépli du sens et le noué des formes? La pointe la plus vive du cinéma actuel travaille cette relation – nécessité et cohérence – entre le sens et la forme, la lutte des idées et la conspiration des écritures.Cet épisode a été préparé par Catherine Blangonnet Introduction : Nathalie Nosny Avec : Jean-Louis Comolli Réalisation : Michel Bourzeix et Catherine Blangonnet Musique : Variations Goldberg, BWV. 988 - Variatio 18. Canone alla Sexta. a 1 Clav. (Musopen) Ce podcast a été enregistré dans les espaces du Centre Pompidou.