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Les Contrariantes

Entretien avec Olivier Sibony

Saison 2, Ep. 6

S’il est courant de croire notre humanité affligée par l’irrationalité, c’est bien l’usage de la raison qui nous aura permis de comprendre pourquoi nos cervelles sont si bien faites pour faire n’importe quoi. Les biais cognitifs, tous ces mauvais plis pris par notre esprit au cours de son évolution et nous faisant voir la réalité non pas telle qu’elle est mais telle qu’elle nous arrange (et profite à nos gènes), sont les fruits aujourd’hui parmi les mieux connus de cette entreprise métacognitive – la pensée sur la pensée. Avec son best-seller Vous allez commettre une terrible erreur (Flammarion, 2019), synthèse de ses travaux de recherche sur les biais cognitifs et comportementaux, Olivier Sibony fait partie de ceux que l’on peut amplement remercier pour cela.

Avec le psychologue et économiste, Daniel Kahneman, lauréat du prix Nobel d’économie en 2002, et le juriste et philosophe Cass Sustein, célèbre coconcepteur du « nudge », Olivier Sibony, l’invité du numéro 24 des Contrariantes, cosigne cette année Noise, dont la version française vient de sortir chez Odile Jacob dans une traduction de Christophe Jaquet revue par ses soins.

L’ouvrage se consacre à une autre infirmité de notre raison, cette fois-ci collective : le bruit. Comme le détaillait Kahneman dans une interview donnée au magazine scientifique britannique New Scientist, le bruit est « la quantité de désaccords entre des individus ayant à émettre un jugement professionnel. Pensez à une organisation, un système médical ou judiciaire, par exemple, dans laquelle des gens effectuent des tâches de jugement. Le bruit est la variabilité de leurs jugements sur une même tâche ». Quand les sentences de 208 juges fédéraux américains sont analysées pour trouver que, sur des dossiers similaires, les condamnations vont de cinq à neuf ans de prison, c’est que ces décisions sont bruitées. Et Sibony d’être encore plus laconique : « Partout où il y a du jugement, il y a du bruit. Et bien plus que vous pourriez le penser. »

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  • 6. « En France, c’est facile d’être une femme musulmane orthodoxe »

    50:01
    Six décennies se sont écoulées depuis l’indépendance de l’Algérie. Une indépendance qui mit fin à cent trente ans d’histoire coloniale avec la France. Même si cette histoire continue d’influencer nos sociétés respectives. C’est en tout cas ce que suggèrent les débats incessants sur la place des minorités issues de l’ex-empire en France.Déjà connue pour son combat en faveur du féminisme et de la laïcité, l’essayiste française et autrice des Nostalgériades Fatiha Agag-Boudjahlat, dont les parents sont originaires d’Algérie, entend apporter une contribution personnelle à ce débat sensible, non sans jeter un regard critique sur l’attitude des diasporas algériennes qu’elle côtoie à travers son environnement familial et professionnel.Alors que les nouvelles générations issues de l’immigration postcoloniale n’ont pas connu les conflits qui ont marqué la vie de leurs ancêtres, comment expliquer la persistance d’un ressentiment à l’endroit du pays dans lequel leurs parents se sont installés pour fuir précisément le « bled » qu’ils idéalisent à travers un chauvinisme déplacé ? se demande-t-elle.Dissonance cognitive selon elle d’autant plus remarquable que la sévérité dont on fait preuve à l’égard des injustices et autres imperfections qui défigurent parfois les sociétés occidentales contraste avec une vision irénique des cultures orientales loin d’être exemplaire.À travers cette critique respectueuse car exigeante, Fatiha Agag-Boudjahlat prend le contrepied d’un tiers-mondisme qui, à trop verser dans la commisération, se fait l’idiot utile des conservatismes les plus aliénants.
  • 5. Olivia Dufour : « Nous sommes jugés par un système épuisé »

    48:16
    Quand il est question du fonctionnement de la justice, on peut vite (et faussement) avoir l’impression d’un sujet technique, voire ésotérique. Mais en réalité, quand la justice dysfonctionne, c’est toute la société qui en pâtit. Journaliste et essayiste spécialisée dans le droit et la justice, Olivia Dufour ne cesse de le rappeler en s’armant d’une denrée de plus en plus rare dans notre débat public : des faits objectifs.Titulaire d’un DEA en philosophie du droit, le titre de son mémoire était déjà tout un programme : « Droit et liberté dans l’œuvre de Dostoïevski ». Une inspiration que l’on retrouve dans le titre de son blog, La Plume d’Aliocha, et son compte Twitter, suivi par près de 8 500 personnes.Journaliste depuis 1997, fondatrice du Cercle des journalistes juridiques et membre de l’Association confraternelle de la presse judiciaire, Olivia Dufour a notamment collaboré à La Tribune, aux Échos, à La Gazette du palais ou à Option Finance et, depuis quelques années, dirige le site d’information sur le droit et la justice Actu-Juridique du groupe Lextenso.Après un premier essai remarqué en 2010 – Kerviel, enquête sur un séisme financier, publié chez Eyrolles –, elle publie Justice, une faillite française ? en 2018 chez LGDJ (la Librairie générale de droit et de jurisprudence), qui lui a valu le prix Olivier Debouzy, récompensant chaque année le meilleur « agitateur d’idées juridiques ». Autant dire qu’elle était prédestinée pour se retrouver chez Les Contrariantes…Vient ensuite Justice et médias. La tentation du populisme (LGDJ), dans lequel elle confirme, sur le sujet explosif du « tribunal médiatique », toute la force et la sagacité d’analyse qui est la sienne. Dans son dernier ouvrage, La Justice en voie de déshumanisation, paru l’été dernier, toujours chez le même éditeur, Olivia Dufour montre comment le conflit actuel entre les magistrats et la chancellerie peut se lire comme une passionnante guerre entre, d’un côté, la communication, celle des ministres qui valorisent leur action, et, de l’autre, la réalité : soit que la justice s’effondre, qu’un tiers des juges est en burn-out et que l’on confie donc nos destins à des gens en détresse… Ou, comme elle le dit elle-même : « On ne peut pas faire avec la justice comme avec un vieux drap qu’on n’arrête pas de rapiécer – cela finit toujours par craquer quelque part. »
  • 4. Pierre Conesa : « On ne peut pas dire que Fukuyama a eu raison »

    46:59
    L’Occident a hérité de la philosophie chrétienne la notion de guerre juste. « On a coutume de définir guerres justes celles qui punissent des injustices, quand il faut par exemple entrer en guerre contre une nation ou une cité, qui a négligé de punir un tort commis par les siens ou de restituer ce qui a été enlevé injustement », écrivait saint Thomas d'Aquin dans sa célèbre . Les démocraties occidentales n’ont pas seulement coutume de fonder leurs entreprises militaires sur des considérations morales bien précises. Elles doivent également convaincre l’opinion publique du bien-fondé de leurs opérations.Ainsi intervient ce que Pierre Conesa, essayiste, haut fonctionnaire, chef d’entreprise et spécialiste des questions de Défense nomme le « complexe militaro-intellectuel ». Cette appellation, qui s’inspire du fameux « complexe militaro intellectuel » d’Eisenhower, désigne ces penseurs qui vont s’approprier une crise parmi les nombreuses tensions géopolitiques existantes, la médiatiser pour convaincre leur pays de s’engager dans des théâtres militaires périlleux, en échappant personnellement aux risques induits par ces entreprises.Comment fonctionne ce complexe ? Quelle est son influence ? Quel est le bilan que nous pouvons tirer du messianisme militaire occidental à l’heure où l'ordre international est de plus en plus multipolaire ? Autant de questions traitées avec notre invité dans ce nouvel épisode des Contrariantes.
  • 3. David Haziza : « Notre mièvrerie non violente est un rejet de la chair »

    53:49
    Invité de marque, David Haziza l'est à plus d'un titre. Déjà, parce qu'il aura fait tout le chemin de New York à Paris pour venir se soumettre aux questions de Ferghane Azihari et Peggy Sastre et, ensuite, parce que malgré son relatif jeune âge, on lui constate déjà un beau passif. Élève de l'École normale supérieure, où il a étudié la philosophie, David Haziza a ensuite choisi de poursuivre ses études aux États-Unis, à l'Université de Columbia, pour un doctorat au département de français, où il a également enseigné.Ses recherches, à la croisée de la littérature, de l'histoire des idées et des études religieuses, ont notamment été consacrées à Michelet, en particulier à sa Sorcière, et à l'historien de la mystique et des hérésies juives Gershom Scholem, dont les approches de l'histoire ont été mises en dialogue avec d'autres auteurs et chercheurs, comme Georges Bataille, Carlo Ginzburg ou encore Bakhtine. Soit de quoi commencer à se faire une idée du caractère pour le moins buissonnant de l'œuvre de David Haziza. En 2017, il publie un premier livre aux éditions du Cerf, Talisman sur ton cœur, qui proposait une nouvelle traduction et un commentaire du Cantique des Cantiques. Et pour ce nouvel épisode des Contrariantes, c'est son deuxième ouvrage, paru en janvier chez Grasset, Le procès de la chair – Essai contre les nouveaux puritains qui en aura fait un invité immanquable.Pandémie, féminisme, tueries de masse, parentalité « bienveillante » et autres costards taillés au « sécuritarisme » de droite ayant alimenté les paniques morales et la peur du sexe de la gauche woke… Tout y passe et encore plus. Une parole libre dans un entretien aussi frais que foisonnant.
  • 2. Philippe Val : « Il ne faut pas laisser les clés de notre monde aux fanatiques »

    48:11
    On ne présente plus Philippe Val. Journaliste, écrivain et essayiste, il fut pendant dix-sept ans à la tête du célèbre journal satirique Charlie Hebdo. Auteur de plus de vingt ouvrages publiés durant ce qu’on peut désormais qualifier de longue carrière, son dernier livre paru aux éditions de l’Observatoire s’intitule Dictionnaire philosophique d’un monde sans Dieu. Un titre évocateur, mais qui n’est guère surprenant pour celui qui, à l’intérieur ou à l’extérieur de la rédaction de Charlie Hebdo, a toujours revendiqué une forme décomplexée d’athéisme militant.Cette irrévérence à l’égard d’un dieu improbable se conjugue cependant sans difficulté avec la sympathie pour les croyants qui ne ressentent guère le besoin de manier sur terre un quelconque glaive divin. Hélas, le chemin pour que l’obscurantisme dépose les armes est encore long. Face au fanatisme, « il n’est d’autre remède à cette maladie épidémique que l’esprit philosophique, qui, répandu de proche en proche, adoucit enfin les mœurs des hommes, et qui prévient les accès du mal », disait Voltaire.Tel est l’esprit qui anime Philippe Val dans ce riche entretien, où se mêlent de profondes réflexions sur le fait religieux, la possibilité de s’épanouir dans un monde sans dieu, la dette que notre civilisation devrait au christianisme, la place de l’islam et des minorités postcoloniales… Rencontre avec un libre-penseur bien décidé à le rester.
  • 1. Philippe Aghion : « En France, on a trop tardé à faire des réformes »

    42:52
    Philippe Aghion est l’un des rares économistes français que le monde nous envie. Auteur en 2020, avec Céline Antonin et Simon Bunel du Pouvoir de la destruction créatrice (Odile Jacob), synthèse de plus de trente ans de recherches, on ne pouvait pas rêver meilleur invité pour relancer les Contrariantes, le podcast des idées élevées en liberté, dans une formule pas tout à fait pareille ni tout à fait une autre. Suivant le glorieux précepte du changement dans la continuité, votre émission bimensuelle préférée consistera désormais en un grand entretien animé, depuis les studios du Point, par Peggy Sastre et Ferghane Azihari, complété d’une chronique intitulée « Les Contrariétés de Mathilde », réalisée par Mathilde Berger-Perrin.Et pour initier cette nouvelle saison, Philippe Aghion est un invité de marque. Professeur au Collège de France depuis 2015, à l’Institut européen d'administration des affaires (Insead) et à la London School of Economics, après avoir, entre autres, enseigné à Harvard et été, là encore entre autres, membre du Cercle des économistes, son œuvre se focalise sur la croissance et l’innovation. Et le paradigme Aghion, à l’oeuvre au Conseil d'analyse économique, à la Commission pour la libération de la croissance française – la fameuse Commission Attali – ou encore auprès de François Hollande, Alain Juppé, Emmanuel Macron et dans les programmes les plus récents de sciences économiques et sociales au lycée, vise à développer un capitalisme vertueux, à la fois favorable à l'innovation et protecteur pour les citoyens, grâce à un dialogue intelligent entre l'Etat, les entreprises et la société civile. Une apparente gageure qui se dissipe dès qu’on prête l’oreille à son argumentation lumineuse, assistée d’un sens de la pédagogie hors du commun.
  • 16. Ce n'est qu'un au revoir ?

    15:04
    Même les meilleures choses ont une fin… Laetitia Strauch-Bonart ayant décidé de voguer vers de nouvelles aventures éditoriales, le podcast « Les Contrariantes » cesse d’exister. L’occasion pour nos duettistes d’un petit numéro spécial « best of » et de se remémorer le meilleur et le pire de deux saisons riches en échanges, en découvertes, en contre-pieds et contrariétés… mais aussi en bons gros ratés et en numéros qui, heureusement, n’ont jamais vu le jour ! Un immense merci à nos auditeurs et que les plus fidèles se rassurent : ici ou ailleurs, les idées élevées en liberté sont loin d’avoir dit leur dernier mot.  ​​​​​​
  • 15. « L’IEP Grenoble n’est pas la caricature woke qu’on en fait »

    43:01
    Le 4 mars 2021, un syndicat étudiant local organisait une séance de collages sur les murs de l’Institut d’études politiques (IEP) de Grenoble. Deux enseignants de l’établissement, Klaus Kinzler et Vincent Tournier, y étaient désignés à la vindicte publique, accusés d'« islamophobie » et de « fascisme », et leur licenciement exigé. Formuler publiquement de telles accusations – infondées – contre des enseignants six mois seulement après l’assassinat de Samuel Paty, voilà qui démontrait, s’il en était encore besoin, que certaines organisations de gauche n’avaient tiré aucune leçon d’un attentat dont la cible avait été désignée par les réseaux sociaux.C’était le début de l’affaire dite de « Sciences Po Grenoble » ou de « l’affaire Kinzler », du nom de l’enseignant à avoir le plus pris la parole dans les médias, notamment pour dénoncer la longue détérioration de l’IEP sur le plan de la liberté d’expression et du pluralisme idéologique. Depuis l’année dernière, l’Inspection générale a diligenté une enquête mettant en cause la gestion de l’affaire, les étudiants incriminés ont été relaxés en conseil de discipline et l’administration de l’établissement, restée muette pendant des mois, a suspendu M. Kinzler de ses fonctions en décembre 2021 après qu’il a commenté cette décision dans la presse.La presse, justement, a été accusée par la direction de l’IEP et certains de ses chercheurs d’avoir « instrumentalisé » la polémique et d’avoir adopté un point de vue par trop biaisé. C’est un reproche fait notamment au Point qui, depuis les débuts de « l’affaire de Sciences Po Grenoble », a informé ses lecteurs de ses péripéties. En février, assistée par l’agence de conseils en affaires publiques, Euros/Agency, la direction de l’IEP Grenoble encourageait ainsi les enseignants à « être très prudents quant aux sollicitations très pressantes » du Point. Le fondateur de l’agence et ancien élève de l’école, Mathieu Collet, estimait pour sa part que notre journal avait « choisi d’alimenter une polémique débile » fragilisant « des gens qui bossent justement pour éviter les effets délétères d’articles aussi lamentables que les vôtres ».C’est dans un état d’esprit largement plus apaisé que Dorian Guinard, maître de conférences en droit public à l’IEP Grenoble, a contacté de lui-même les Contrariantes pour apporter « un éclairage différent » sur cette affaire.
  • 14. « L'attachement à son pays est une forme de gratitude »

    01:01:43
    En plein non-débat présidentiel, et alors que la guerre assombrit l'Europe, la question de la défense de notre mode de vie et de nos valeurs rejaillit comme elle ne l'avait pas fait depuis longtemps. C'est l'occasion pour les Contrariantes d'évoquer un sujet aussi large que chauvin, notre douce France. Pour ce faire, elles se penchent sur le dernier ouvrage publié par l'une d'elles, De la France. Ce pays que l'on croyait connaître (Perrin/Presses de la cité), qui analyse les difficultés chroniques de notre pays mais aussi ses réussites. Point de départ de la discussion, la confrontation de deux visions différentes, l'une lyrique et affective, l'autre, celle de notre autre Contrariante, qui n’est pas loin de celle que l'écrivain Michel Houellebecq décrivait en recevant le prix Goncourt en 2010 : « Je ne suis pas un citoyen et je n’ai pas envie de le devenir. Le devoir par rapport à son pays, ça n’existe pas, il faut le dire aux gens. On est des individus. La France est un hôtel, rien de plus. » Alors, la France est-elle seulement le pays où nous habitons ou bien quelque chose de plus et autre ? Réponse dans cette édition spéciale des Contrariantes.